UMG, Tik Tok et la lutte pour les droits d’auteur

par Elinore Trompeter
UMG, Tik Tok et la lutte pour les droits d'auteur

Vous avez peut-être remarqué que, depuis la fin de la semaine dernière, Tik Tok est dépourvu de la plupart des chansons populaires qui ont alimenté les tendances sur leur plateforme au cours des deux dernières années. Les danseurs et danseuses ne peuvent plus utiliser les dernières sorties de Drake pour leurs chorégraphies, les créateurs et créatrices ne peuvent plus faire de mèmes en utilisant le single « yes, and » d’Ariana Grande, et les fans de Taylor Swift déplorent partout le retrait de leur musique préférée pour la trend spéciale couples. La plupart d’entre nous avons entendu « c’est à cause d’UMG ». Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ?

Bien qu’il s’agisse d’un problème juridique à huis clos, les raisons de la querelle entre UMG et Tik Tok sont en fait assez intéressantes. Tout est lié aux droits d’auteurs : qui est propriétaire de la musique et qui a le droit de l’utiliser ? Comme vous pouvez le deviner, la réponse à la première question n’est pas les artistes eux-mêmes.

1. Qui est propriétaire de la musique ?

UMG (Universal Music Group) est l’un des plus grands labels de musique au monde et possède probablement la liste d’artistes la plus impressionnante de l’industrie. Parmi ses artistes, on peut citer :

  • Drake
  • Rihanna
  • Justin Bieber
  • Ariana Grande
  • The Weeknd
  • Taylor Swift
  • Olivia Rodrigo
  • Kendrick Lamar
  • Noah Kahan
  • Lana Del Ray
  • Billie Eilish

… et tant d’autres superstars, c’est hallucinant.

La signature d’un contrat avec un label est la norme dans l’industrie musicale en raison des nombreux services qu’ils fournissent aux artistes (distribution, promotion, marketing, publicité, financement de projets, supervision des affaires juridiques, etc). Très souvent, lorsque les artistes signent un contrat avec une grande maison de disques, ils renoncent à la propriété de leur musique. Les labels paient pour le temps passé en studio et les coûts du projet, faisant de tout enregistrement réalisé sous contrat leur propriété.

Les grands artistes cités plus haut ne font pas exception à la règle. Plus vous avez de succès, plus vos projets prennent de l’ampleur. Il est fréquent que les artistes qui ont commencé de manière indépendante signent un contrat avec un label parce que l’ampleur de leur projet et de leur album exige des fonds plus importants et un réseau puissant dont seuls les plus grands acteurs de l’industrie peuvent se prévaloir. En d’autres termes, les grands labels donnent aux artistes toutes les ressources dont ils ont besoin pour produire et sortir leur musique en échange de la propriété de celle-ci. UMG a décidé d’exclure Tik Tok de l’équation en ne lui accordant pas la licence qui lui permet d’utiliser la musique de ses artistes. Il est illégal d’utiliser de la musique sans licence en raison des lois sur les droits d’auteur, et Tik Tok n’a donc aucune chance.

2. Qui a le droit de l’utiliser ?

Le droit d’auteur sur la musique existe sous plusieurs formes, mais notre affaire ne concerne qu’une seule d’entre elles : le master. Lorsqu’une chanson est créée et fixée sous une forme tangible (sur papier, dans l’application notes, sous la forme d’un mémo vocal; en bref sous n’importe quelle forme), elle possède automatiquement son propre droit d’auteur. Il s’agit du droit d’auteur sur la composition du morceau, qui se compose des paroles et de la mélodie séparément, ainsi que des paroles et de la mélodie associées l’une à l’autre, ce qui représente la composition. Lorsque la chanson est enregistrée, mixée, masterisée et qu’elle atteint sa forme finale avant d’être diffusée, la version finale est appelée le master.

C’est ce fichier qui est distribué aux services de streaming, aux stations de radio, aux réseaux sociaux et à tous les autres endroits où l’on peut entendre de la musique, comme Tik Tok. Pour que les plateformes puissent légalement utiliser le master à quelque titre que ce soit, les droits de la musique doivent être accordés par le propriétaire. Cette autorisation prend la forme d’un accord de licence entre le label et la plateforme. La plateforme obtient la licence d’utilisation du master en échange de royalties (paiement par flux, vidéo, etc.). Ces redevances sont ensuite redistribuées aux artistes, le label et le service de streaming en conservant une grande partie avant que les artistes ne reçoivent leur part.

Ce qui est restreint par UMG, ce sont donc les enregistrements masters de leur catalogue. Techniquement, vous pouvez toujours entendre Rihanna ou Ariana dans l’application, mais il s’agit d’une version modifiée de la chanson en question. Toute différence perceptible par rapport à la version originale en fait un enregistrement différent, dont l’utilisation est donc légale. Les versions accélérées des chansons sont devenues extrêmement populaires (à tel point que les labels poussent les artistes à publier eux-mêmes des versions accélérées afin de percevoir des royalties, en particulier lorsqu’elles deviennent virales), les versions ralenties sont utilisées pour les montages et les reprises sont absolument omniprésentes. Ces changements constituent des lacunes juridiques qui pourraient expliquer pourquoi certaines des chansons retirées du catalogue d’UMG existent encore sous une forme ou une autre.

3. Où vont les royalties ?

Les structures de royalties diffèrent selon les plateformes et les services, et il semble qu’UMG ait eu un problème avec le système de paiement de Tik Tok. À l’heure actuelle, Tik Tok paie 0,03 $ pour chaque vidéo qui utilise la chanson d’un créateur. Cela signifie qu’un son devrait être utilisé dans environ 34 000 vidéos distinctes par mois afin de payer l’équivalent d’un mois de salaire pour un emploi au salaire minimum aux États-Unis. Cela fait beaucoup de vidéos et, vu sous cet angle, ce n’est pas une bonne nouvelle pour Tik Tok. Cependant, la plateforme est en même temps le réseau social qui offre le plus d’opportunités. Vos chances de devenir viral sur Tik Tok sont incontestablement plus élevées que sur n’importe quelle autre plateforme en raison de la structure de son flux (il n’est pas nécessaire de suivre quelqu’un pour voir ses vidéos) et de son algorithme (le flux est très personnalisé). De plus, Tik Tok est gratuit. Peu importe qui vous êtes ou d’où vous venez, vous faites la promotion de votre musique par les mêmes moyens que les plus grands artistes du monde, et le potentiel de devenir viral est vraiment réaliste. C’est l’un des meilleurs outils pour promouvoir votre musique, sans hésitation.

On pourrait dire qu’en retirant sa discographie, UMG cherche à protéger ses artistes et à obtenir une compensation plus juste pour toute l’attention qu’ils apportent à Tik Tok. Cependant, si l’on considère la puissance et la richesse du label et de ses artistes, on peut se demander s’il ne s’agit pas plutôt d’un manque d’équité. La valeur que ces artistes retirent de la diffusion de leur musique sur Tik Tok n’est pas l’argent, mais la popularité et la viralité. Le jeune public est capable d’intégrer de manière transparente la musique pop nouvellement sortie dans la culture par le biais de mèmes, de tendances et de danses comme nous n’en avons jamais vu auparavant. Cela se traduit rapidement par des streams, et c’est là que la rémunération compte vraiment. La promotion gratuite que Tik Tok assure aux artistes et le temps qu’il fait gagner aux labels en le faisant sans leur participation l’emportent de loin sur l’inconvénient d’être payé un peu moins que ce qu’UMG souhaiterait. Ce qui était autrefois un accord mutuellement bénéfique s’est transformé en une séparation plutôt inutile.

4. Une fenêtre s’ouvre pour les artistes indépendants

Il y a toutefois un avantage à cette situation. Le vide laissé par l’absence des artistes mentionnés ci-dessus laisse une énorme marge de manœuvre aux artistes indépendants pour s’emparer du paysage sonore de Tik Tok. Les utilisateurs auront besoin de musique quoi qu’il arrive, et si les plus grands acteurs du jeu sont mis sur la touche, ils se tourneront vers de plus petits artistes pour combler les lacunes. Aujourd’hui plus que jamais, les artistes indépendants seront davantage reconnus, et la possibilité de devenir viral n’a jamais été aussi élevée. Que vous utilisiez la plateforme pour promouvoir votre musique depuis un certain temps ou que vous l’envisagiez à peine, profitez-en ! Créez du contenu et partagez votre musique autant que possible pendant que les gens sont à l’affût de nouveaux sons et de nouvelles chansons.

Nous pourrions discuter toute la journée des raisons qui poussent UMG à retirer son catalogue de Tik Tok, mais il s’agit incontestablement d’une décision qui s’avérera préjudiciable à la fois pour le label et pour la plateforme sur le long terme. La leçon que les artistes peuvent tirer de cette épreuve est que la propriété est importante et qu’elle déterminera en fin de compte le poids que vous aurez dans votre carrière. Pour l’instant, mettons l’accent sur les artistes qui ne bénéficient pas du soutien d’un label. C’est maintenant que la confiance et la constance portent leurs fruits – nous avons hâte de voir où elles vous mèneront.

– Traduit par Ambre Tholance –

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