Phénomène de notre époque ou expression à la mode, l’appellation « Artiste entrepreneur » fait souvent débat. Entre confusion et incompréhension, nous allons tenter avec Groover d’éclaircir l’assemblage de ces deux termes qui paraissent pour beaucoup incompatibles.
Un entrepreneur avant tout !
Selon moi, il est important, dans un premier temps, de bien comprendre la définition du mot « entrepreneur ». L’entrepreneur est celui qui dirige une entreprise, mais au sens large, c’est-à-dire qu’il transforme une idée (intellectuelle à l’origine) en projet concret avec un plan d’action et différentes stratégies pour arriver à faire en sorte que ce projet, à l’origine créatif, puisse toucher une clientèle (ou plutôt un public, dans le cas précis d’un projet culturel ou artistique).
L’entrepreneur doit mobiliser des ressources, quelles soient humaines et/ou financières, pour mener son entreprise vers le succès c’est-à-dire l’équilibre entre ses revenus et ses charges (une rentabilité économique).
Et c’est là que les opinions se déchaînent car, pour des raisons notamment culturelles, on refuse d’associer domaine artistique et rentabilité économique.
Zéro budget, zéro projet…
Même s’il est vrai que le milieu artistique doit appliquer des « contraintes économiques » différentes (car on ne peut parler d’un artiste plus performant qu’un autre, comme d’un produit par exemple), l’art ne peut se soustraire intégralement des règles d’une société dans laquelle l’économie est très (trop ?) présente et développée. Alors bien entendu, ce simple sujet pourrait faire l’objet de très nombreuses réflexions mais j’ai fait le choix de ne pas développer ici la place de l’Artiste dans une société dite « commerciale ».
Simplement comprendre que, selon moi, sans budget, il ne peut y avoir de projet artistique. Cela parait évident mais tout comme projeter de construire une maison ne se fait pas sans la mise en place d’un budget (réaliste), entreprendre de développer un projet artistique ne se fait pas sans argent. Encore une fois, même si cela peut tomber sous le sens, cela me paraît important de le (re) préciser.
| Voir aussi : Quel budget pour la promotion de votre musique ?
Et l’artiste entrepreneur dans tout ça ?
Pour revenir à notre sujet principal, selon moi, lorsque l’on parle d’artiste entrepreneur, on parle du créateur d’un projet artistique (un domaine particulier, avec des règles particulières) qui souhaite prendre le « contrôle » des différents aspects (humains, économiques et financiers…) pour faire en sorte que sa création puisse se développer dans les meilleures conditions possibles; et, cerise sur le gâteau, rencontrer un public qui pourra lui permettre de créer puis de consolider un modèle économique, modèle qui lui permettra de continuer à développer sa créativité et ce, dans un cercle totalement vertueux.
J’ai tout à fait conscience que beaucoup de gens rejettent ce modèle, soit parce qu’il considèrent que l’artiste doit être protégé par un salaire et ne pas dépendre des fluctuations économiques d’un marché pour pouvoir créer en toute « sérénité »; soit parce qu’ils confondent l’artiste entrepreneur et l’artiste AUTO entrepreneur, erreur de vocabulaire assez fatale dans la mesure où le statut d’auto-entrepreneur est rarement adapté à l’exercice d’une activité artistique en respectant les obligations légales françaises, notamment par rapport à l’intermittence, précieux statut, exception française.
L’auto-entrepreneur n’est pas un artiste !
L’occasion pour moi de soulever une irrégularité courante en terme de droit du travail. Pour la faire simple, en France, un Artiste, dès qu’il exerce son activité (notamment en studio ou sur scène) est obligatoirement salarié et doit toucher obligatoirement un cachet. J’insiste bien sur l’obligation (ou présomption) de salariat, ce n’est pas un choix, c’est un devoir. Tout cela pour dire que, quand on propose à un artiste de faire une facture via son « auto-entreprise » pour rémunérer sa prestation scénique, c’est tout simplement illégal. Ce n’est pas un choix, c’est une obligation: Artiste = salaire = cachet ! Point final !
Alors évidemment, vous allez me répondre que je vis dans un monde idéal et que tout ne se passe pas forcément comme on le souhaiterait dans la vraie vie. Certes, de nombreux organisateurs continuent à demander une facture à l’artiste AUTO entrepreneur et je ne vais pas refaire le monde ou imposer des règles; mais sachez simplement que cette pratique est illégale et que cela peut poser de très nombreux problèmes en cas de contrôle (notamment en terme d’assurance, en cas d’accident). De plus, en acceptant ce type de deal, vous vous interdisez le droit de cotiser pour votre statut d’intermittent. Même si les 507 heures peuvent paraître lointaines pour beaucoup, c’est loin d’être impossible, sauf si on ne commence jamais à cotiser bien entendu 🙂
Il me paraissait donc important de bien préciser ces notions car je vois trop souvent la confusion entre artiste entrepreneur (créateur d’un projet artistique qui souhaite se structurer (notamment juridiquement) pour développer sa carrière) et artiste AUTO entrepreneur qui, à quelques exceptions près, est un statut aberrant et surtout illégal dans de nombreuses situations (notamment pour les prestations scéniques). Un photographe peut être auto-entrepreneur par exemple, mais pas un artiste-interprète. Une association ou une société peuvent faire une facture à un organisateur mais dans le seul et unique but que l’association et la société fassent ensuite un CACHET à l’artiste pour le rémunérer suite à sa prestation sur scène devant un public. Selon moi, ce sont des nuances qui peuvent paraître « idéalistes » mais pourtant essentielles pour bien comprendre le milieu dans lequel vous évoluez et professionnaliser votre façon de voir les choses et de collaborer.
Maintenant que vous avez bien compris que l’artiste entrepreneur n’est PAS l’artiste AUTO entrepreneur, laissez-moi vous faire part de ma vision de l’artiste entrepreneur.
| Voir aussi : Les droits en musique, comment ça marche ? Droits édioriaux, phonographique et synchronisation
Entrepreneur par nécessité ?
Selon moi, le contexte actuel (économique) a rendu les différents partenaires assez « frileux ». Les producteurs de spectacles connaissent une crise sans précédent du fait de l’interruption de nombreux concerts et, même avant la crise, il était difficile pour un tourneur de signer un.e jeune artiste (en développement si vous préférez) car cela nécessite parfois deux années d’investissements (souvent à perte) pour faire connaître le projet et réussir à trouver un modèle économique; en d’autres termes, compte tenu des coûts de production, on ne peut pas « parier » sur 36 chevaux à la fois ! Pour le producteur de disques (le label si vous préférez), c’est un peu la même chose: compliqué de signer un artiste qui a une petite communauté de fans, peu développé et nécessitant de ce fait des investissements conséquents (notamment en promo) pour le faire connaître.
Le seul partenaire « sans risque » serait peut-être l‘éditeur dont la mise de départ pour faire avancer le projet n’est pas forcément conséquente, et encore… Pour aller plus loin, nous vous conseillons de lire notre article Comment bien négocier son contrat d’édition musicale ?
Bref, tout cela pour poser les bases économiques de notre époque qui peuvent peut-être vous aider à mieux comprendre le développement de ce statut d’artiste entrepreneur.
Car malgré cette « frilosité » ambiante, l’artiste porteur de projet ne peut pas s’arrêter là ou attendre des mois voire des années qu’un potentiel partenaire se réveille. Il doit donc prendre les choses en main, se structurer (notamment juridiquement) pour développer les compétences qui, certes ne sont pas innées chez un artiste (dont le premier « travail » est de créer), je le conçois mais des compétences aujourd’hui nécessaires pour acquérir un niveau de développement professionnel qui pourra certainement intéresser, à terme, les partenaires qui au départ n’était pas suffisamment motivés pour rejoindre l’aventure (notamment le label et le tourneur).
Démocratisation des outils de production, programmes d’aides et subventions: les avantages d’un système vertueux.
Sans parler de la démocratisation des différents outils et de la quantité tout à fait impressionnante d’aides et subventions auxquelles les porteurs de projets artistiques peuvent prétendre; mais attention, à la condition d’avoir une structure juridique (association ou société) car très peu d’aides peuvent être attribuées directement à une personne physique (comme l’aide à l’autoproduction de la SACEM). La structuration me semble donc essentielle, là encore, pour vous permettre d’aller plus loin et de bénéficier de tous les programmes d’aides mis à la disposition (notamment) des producteurs (de disque ou de spectacle) et éditeurs que vous pouvez devenir à travers votre structure. Bien entendu, à chaque fois que vous ajoutez une nouvelle compétence à votre CV, vous rajoutez une quantité de travail plus ou moins importante. C’est la raison pour laquelle, j’aime aussi préciser que le statut d’artiste entrepreneur n’est pas forcément à la portée de tout le monde, mais en avoir conscience peut déjà constituer une grande avancée personnelle…
| Voir aussi : Comment financer son projet musical ? Aides et subventions
L’artiste entrepreneur n’est donc pas auto entrepreneur, il est porteur d’un projet artistique et a bien compris que le contexte économique actuel ne lui permettait pas de trouver (pas tout de suite en tous cas) des partenaires tels qu’un producteur de disque ou de spectacle pour se greffer à son aventure artistique. Vu de l’extérieur, la création de sa propre structure juridique et économique pourrait apparaître comme se faisant « par défaut » (faute d’avoir des partenaires…) mais ce n’est absolument pas le cas; car, en cas de succès, les partenaires sauront se montrer présents et il sera temps pour l’artiste de négocier ces partenariats dans de bien meilleures conditions qu’au départ; enfin conscient des différents éléments qu’il maîtrise désormais au sein de sa propre structure (notamment la production et les éditions), l’artiste reprend le pouvoir et développe ses propres outils lui assurant une certaine stabilité économique ainsi qu’une bonne maîtrise de ses revenus afin de pouvoir créer dans les meilleures conditions possibles, la boucle vertueuse étant alors bouclée ! 🙂
3 commentaires
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Bonjour et merci, « GROOVER BLOG nous éclair sur la réalité de notre environnement professionnel présent et future …
Bien des fois nous entendons une multitudes de propos qui ne sont pas juridiquement valides « trop d’improvisations nuisent à la création » mais la formation permanente est essentielle pour les acteurs de la Musiques 🎶 Entrepreneurs, et futurs musiciens Entrepreneurs… les obstacles sont devant nous ! mais nous serons les franchirent avec aisances si tous,nous voulons aller vers la connaissance réelle, avec une soif d’apprendre.
Bonnes continuations à tous .
Valentino.
merci pour le conseil