2023 a été une année record pour les revenus versés par Spotify. Le géant du streaming a versé 9 milliards de dollars aux ayants droit, ce qui représente un chiffre trois fois supérieur à celui d’il y a six ans. Depuis sa création, Spotify a versé plus de 48 milliards de dollars aux détenteurs de droits musicaux. S’il s’agit de milliards, pourquoi les artistes se plaignent-ils de ne recevoir que quelques centimes ? Comment se fait-il qu’un titre qui devient viral sur TikTok, conduisant à 500k streams sur Spotify, puisse permettre à un artiste d’empocher seulement ~700€ ?
« Loud & Clear » de Spotity est un rapport annuel qui explique l’économie du streaming musical et les revenus générés sur la plateforme. Cette année, le rapport Loud & Clear est optimiste et fait état d’une croissance record. En 2023, plus de 66 000 artistes ont reçu plus de 10 000 dollars de revenus grâce au streaming. Spotify estime que le revenu moyen de ces artistes, toutes sources confondues, s’élève à environ 4 fois le revenu généré par le streaming – ou que le streaming représente en moyenne 25 % de leur revenu total. Toutefois, selon une enquête du syndicat des musiciens, 92 % des personnes interrogées déclarent que le streaming représente moins de 5 % de leurs revenus. Cela contraste fortement avec l’affirmation de Spotify selon laquelle le streaming représente 25 % du revenu moyen des artistes.
L’optimisme de Spotify n’est pas partagé par tout le monde. Dans l’ensemble du secteur, le soutien à la réforme du streaming s’est accru. Depuis 2021, le gouvernement britannique a établi un calendrier des principales étapes de son programme d’étude sur le streaming musical [1]. L’implication du Department for Digital, Culture, Media & Sport (DCMS) dans le streaming musical est, en grande partie, due aux efforts de groupes tels que l’Ivors Academy et le mouvement #BrokenRecord. Le DCMS ne s’est pas retenu, appelant à une « réinitialisation complète » du streaming pour remédier aux « rendements pitoyables » perçus par les artistes, les auteurs-compositeurs et les compositeurs [2]. La frustration des artistes face au faible revenu effectif par stream de Spotify par rapport à ses concurrents n’a cessé de croître, et ses relations étroites avec les grandes maisons de disques (qui ont historiquement inclus d’importantes avances de trésorerie et le contrôle d’une partie de l’inventaire publicitaire de Spotify [3]) continuent d’être examinées de près.
Comment se fait-il que le secteur du streaming semble plus sain que jamais, qu’il enregistre une croissance record et qu’il offre des opportunités dans tous les domaines, alors que le soutien en faveur d’une réforme ne cesse de croître ?
Loud & Clear 2023 : Croissance record, diversité et opportunités
Spotify indique que depuis 2017, le nombre d’artistes gagnant plus de 10 000 dollars, plus de 100 000 dollars et plus d’1 millions de dollars a triplé.
Cette bonne nouvelle ne concerne pas seulement les artistes américains et britanniques. En effet, sur les 66 000 artistes qui gagnent plus de 10 000 dollars grâce au streaming sur Spotify, plus de 50 % proviennent de marchés où l’anglais n’est pas la langue principale. Les marchés hispanophone, lusophone, germanophone et coréen, en particulier, connaissent une croissance sans précédent. Les chances de succès d’un grand nombre d’artistes sur la plateforme n’ont jamais été aussi grandes.
La plateforme insiste sur le fait que la majorité d’entre eux sont des millionnaires « inattendus ». 1000 de ces artistes n’avaient pas une seule chanson dans le Top 50 mondial de Spotify. Spotify précise que pour qu’un artiste reçoive plus d’un million de dollars en revenus par le streaming, il doit généralement avoir 4 à 5 millions d’auditeurs mensuels, ou 20 à 25 millions de streams mensuels. Une tâche ardue, mais pas impossible, insiste-t-on. Prenons l’exemple de Lizzy McAlpine, une auteure-compositrice-interprète dont le succès a atteint son apogée en 2023 à la suite d’une série de sorties réussies qui sont devenues virales sur TikTok. L’artiste a accumulé 12 millions d’auditeurs mensuels en seulement trois ans et a récemment participé à des talk-shows américains tels que celui de Jimmy Fallon. Spotify souligne que la technologie numérique à l’ère du streaming offre des opportunités inégalées aux artistes émergents.
D’une manière plus générale, les maisons de disques indépendantes semblent se porter mieux que jamais. Elles ont reçu la somme astronomique de 4,5 milliards de dollars en 2023, ce qui représente 50% des revenus versés par Spotify aux propriétaires des droits de diffusion. Au cours des deux dernières années, plus de 4 milliards de dollars ont été versés aux éditeurs, ce qui montre que les auteurs et les compositeurs sont censés recevoir plus d’argent que jamais. Spotify indique que les auteurs et compositeurs reçoivent deux fois plus à l’ère du streaming qu’à l’ère des CD et des ventes physiques.
Il y a plus de 10 millions d’artistes sur Spotify avec au moins un titre de sorti. Plus de 8 millions avec moins de 10 titres, 5 millions avec moins de 100 streams et enfin 225 000 artistes « émergents et professionnels » sur la plateforme. Spotify explique que son objectif est de favoriser la progression de ces artistes émergents et/ou professionnels. L’opportunité de croissance sur Spotify existe, si vous êtes régulier et consistant, puisque Spotify rapporte que parmi les artistes générant plus de 10 000 $ en 2017, la plupart génèrent plus de 50 000 $ aujourd’hui.
Outre la croissance en termes de streams, Spotify indique également qu’à l’ère du streaming, les artistes ont plus d’opportunités que jamais. Spotify rapporte également que le 50 000e artiste en termes de revenus sur la plateforme génère 16,5k $ par an, soit 6 fois plus qu’en 2017. Ils comparent le streaming aux disquaires, aux maisons de disques, à la radio, etc. où la barrière à l’entrée est beaucoup plus élevée et où il est donc plus difficile de réussir. Leur point de vue ? Que le streaming a démocratisé le secteur de la musique, en fournissant une plateforme aux artistes indépendants pour entrer sur le marché sans avoir à compter sur des acteurs établis comme les maisons de disques. Aujourd’hui, pour 40 euros par an, il est possible d’uploader des quantités pratiquement illimitées de musique vers Spotify et d’autres sociétés de streaming, grâce à des distributeurs à bas prix comme DistroKid.
Enfin, ils indiquent que le streaming est désormais responsable de 65 % des revenus générés dans l’industrie de la musique enregistrée, et ils rappellent que « 2/3 de chaque dollar sur Spotify va aux propriétaires de cette musique ».
Derrière Loud & Clear : les critiques de l’économie du streaming
Ces statistiques sont convaincantes et, à première vue, tout semble aller pour le mieux dans le monde du streaming. Est-ce là toute l’histoire ?
Curieusement, le Loud & Clear de cette année maintient un ton clair d’optimisme et d’opportunité. Cependant, si l’on regarde au-delà des statistiques et que l’on consulte les FAQ et les vidéos qui expliquent les flux d’argent entrant et sortant de Spotify, on constate qu’ils sont clairement conscients des critiques qui entourent le streaming. Il y a un sentiment palpable de « ce n’est pas notre faute » face à l’absence de compensation équitable pour les artistes.
Par exemple, dans leur vidéo expliquant le flux d’argent entrant et sortant de Spotify [7], ils disent qu’ils paient directement le propriétaire des droits et que la part qui revient à l’artiste est en fin de compte conforme au contrat de l’artiste avec le propriétaire des droits – qu’ils « établissent librement » selon leurs propres préférences. C’est vrai, Spotify n’est pas directement responsable de la maigre part de 15% qu’un artiste signé par un grand label peut recevoir. La question de savoir s’ils concluent ces contrats « librement » est toutefois à débattre. La plupart des petits artistes ont plus besoin des grands labels que ces derniers n’ont besoin d’eux, grâce à une large liste d’autres artistes et à un catalogue qui a déjà permis aux labels de faire des bénéfices. En fin de compte, les petits artistes ont peu de pouvoir de négociation avec les grandes maisons de disques, dont l’influence dans l’industrie musicale reste puissante. Il est possible de se débrouiller seul.e, et peut-être aujourd’hui plus que jamais. Mais en fin de compte, c’est un gros risque face à l’exposition garantie d’une collaboration avec un label qui dispose d’un réseau en place. C’est particulièrement vrai pour les musiques populaires comme la pop, le rap, le rock, etc. En fin de compte, le choix est entre risquer un revenu misérable et l’instabilité dans l’espoir de « se débrouiller seul » et une source plus régulière et plus fiable de revenus en travaillant avec un grand label. L’inconvénient étant bien sûr la part misérable des royalties, qui n’a pas changé depuis l’époque des CD.
Un employé classique travaillant 40 heures par semaine pourrait en principe renoncer à son revenu stable et à la sécurité de l’emploi pour essayer de créer son entreprise afin d’améliorer ses conditions de vie. Mais lorsque votre vie est en jeu et que vous risquez de renoncer à vos remboursements de prêt hypothécaire, à votre prêt automobile et de perdre les moyens de subvenir à vos besoins et à ceux de vos enfants, pouvons-nous vraiment dire que vous êtes « libre » de déterminer les conditions de votre emploi ? Sans filet de sécurité, il est plus risqué pour les artistes de « tenter leur chance » que de suivre une voie plus stable (celle des maisons de disques), quitte à se tirer une balle dans le pied en ce qui concerne le pourcentage des royalties qui rentrent dans leurs poches. En effet, la précarité liée à la poursuite d’une carrière musicale à temps plein signifie qu’il est presque certain que les artistes finiront par avoir deux emplois jusqu’à ce qu’il devienne possible de vivre de leur travail.
Spotify n’assume pas la responsabilité des détails du contrat d’un artiste avec son détenteur de droits, et ce à juste titre, mais le sous-texte « ce n’est pas notre faute » qui sous-tend Loud & Clear apparaît peu convaincant, surtout si l’on considère que l’existence de Spotify repose en fin de compte sur le travail de ces artistes. Rappelons que, selon la Musician’s Union, 92 % des artistes ont déclaré que le streaming représentait moins de 5 % de leurs revenus. Sur les 225 000 artistes que Spotify considère comme « émergents ou professionnels », seuls 10 % gagnent plus de 50 000 dollars pour la classe moyenne, et environ 25 % gagnent plus de 10 000 dollars, ce qui est inférieur au salaire minimum dans la plupart des pays occidentaux. Dave Clarke, un vétéran de la scène techno, l’a bien dit : « Je n’ai rencontré qu’un seul artiste qui tire un revenu conséquent des streams, et c’est Martin Garrix » [10].
Alors, qui profite réellement de la croissance du streaming ? Il semble que ce soit les grandes maisons de disques, qui représentent 74 % de l’offre sur Spotify. De leur côté, les petits artistes ont vu leurs revenus réduits par la prise de contrôle des géants du streaming, par rapport à l’ère pré-streaming [10].
Spotify est généralement conscient des critiques concernant son taux de revenu effectif « par stream », qui est inférieur à celui d’autres plateformes. Ils répondent à cela par plusieurs points, le premier étant qu’à l’ère du streaming, les utilisateurs ne « paient pas par chanson », de sorte que la notion de « revenu par stream n’est pas un “chiffre significatif à analyser”[4]. Ils expliquent ce fait en disant que l’abonné moyen sur Spotify écoute plus de musique que sur les autres plateformes. Cela signifie que, si l’on calcule un taux « effectif » par stream en divisant le revenu total par le nombre de streams, le nombre de streams sera plus important sur Spotify que sur les autres plateformes, et donc le taux effectif de ces plateformes sera plus faible. Cependant, Spotify est également le plus grand acteur du secteur et dispose des revenus publicitaires et des revenus des abonnés premium les plus importants, plus élevés que ceux de ses concurrents. Est-ce alors vraiment une bonne excuse ?
De même, ils soulignent que Spotify est plus populaire dans les pays où les prix sont plus bas, car Spotify est le service de streaming qui couvre le plus grand nombre de marchés. Cela signifie que son taux de revenu par stream peut sembler inférieur à celui de ses concurrents qui ne se concentrent pas sur ces marchés. Il est intéressant de noter qu’Apple Music, disponible sur 167 marchés contre plus de 180 pour Spotify, paie le double du taux effectif par stream proposé par Spotify [5]. Est-ce alors un bon argument ?
Spotify défend son service gratuit financé par la publicité, affirmant qu’il génère moins de revenus que le service premium, mais qu’il permet de convertir des utilisateurs qui pourraient autrement se tourner vers le téléchargement illégal. L’entreprise souligne que 60 % des utilisateurs du service premium ont commencé par le service gratuit, ce qui met en évidence son rôle dans sa stratégie d’acquisition, même si la motivation première reste d’ordre commercial plutôt qu’altruiste.
Dans les derniers paragraphes, nous avons discuté du revenu effectif par stream. Il serait donc prudent de discuter de la manière dont Spotify distribue ses revenus aux détenteurs de droits – un système qu’ils appellent « streamshare ».
Spotify n’est pas comme Beatport, Bandcamp, iTunes ou un disquaire. Avant le streaming, les utilisateurs payaient généralement un prix fixe pour acquérir un morceau de musique. Pour 10 dollars, vous pouvez obtenir un CD contenant 8 chansons. Ce n’est plus le cas à l’ère du streaming. Spotify a deux méthodes principales pour générer des revenus, via l’abonnement – les utilisateurs paient par mois pour avoir accès au catalogue de Spotify, ce sont les utilisateurs dits « premium ». L’autre source est constituée par les revenus publicitaires de la partie gratuite. Nous pouvons additionner les revenus provenant de ces sources pour obtenir le revenu brut annuel de Spotify. Cet argent doit être distribué d’une manière ou d’une autre aux artistes et aux autres professionnels de l’industrie musicale. Mais comment ?
Le système Streamshare est la réponse. Dans le modèle streamshare, Spotify considère, dans chaque marché, la proportion du nombre total de streams qu’un artiste reçoit, et lui verse le montant des revenus générés dans ce marché en fonction de cette proportion. Si Drake représente 30 % des streams au Brésil, 30 % des revenus générés au Brésil seront versés à Drake.
Les critiques soutiennent que le modèle de distribution des revenus de Spotify rémunère injustement les artistes, suggérant une approche centrée sur l’utilisateur où les artistes sont payés sur la base des streams individuels des utilisateurs. Spotify le reconnaît, mais fait état d’une étude indiquant que l’impact financier est minime pour la plupart des artistes ne figurant pas parmi les 10 000 premiers. Bien qu’ouvert au changement, Spotify affirme qu’un accord à l’échelle de l’industrie est nécessaire, ce qui laisse présager une résistance de la part des grandes maisons de disques, dont la part de revenus pourrait être diluée par un modèle centré sur l’utilisateur.
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Le problème des « faux streams »
En ce qui concerne les revenus de Spotify, Spotify a annoncé en novembre 2023 qu’il ne paierait plus de royalties pour les titres qui génèrent moins de 1000 streams. Il y a des dizaines de millions de titres qui génèrent moins de 1000 streams et qui rapportent environ 0,03 $ par mois en moyenne. Si l’on tient compte des montants minimes retirés par les distributeurs et des frais bancaires, cet argent n’arrivera que rarement dans les mains des artistes. Spotify a décidé qu’il s’agissait d’un moyen efficace de lutter contre l’épidémie de « streams frauduleux ». De cette manière, si un utilisateur frauduleux upload des milliers de titres sur Spotify, chacun gagnant quelques centimes ou euros par mois en streams artificiels, il ne pourra plus bénéficier des paiements de streams cumulés parce que Spotify cessera de les payer.
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Une stratégie potentiellement efficace, mais l’approche stricte de Spotify à l’égard des faux streams a suscité une certaine controverse, en particulier, la partie où elle a annoncé qu’elle infligerait des amendes aux distributeurs responsables d’avoir permis à de faux titres d’être poussés vers Spotify. Cela a conduit à certains cas où, en réponse à une alerte menaçante de faux streams de Spotify, un distributeur a retiré l’ensemble du catalogue de certains artistes accusés de faux streams. Cependant, aucun système de signalement n’est parfait et il y aura toujours des erreurs. Malheureusement pour certains, cela signifie que leur gagne-pain est réduit à néant lorsque leur distributeur efface leur catalogue de Spotify en raison d’une fausse alerte de streaming frauduleux [6]. Spotify a déclaré publiquement qu’il n’avait pas demandé au distributeur de supprimer le catalogue, mais qu’il l’avait simplement informé d’une activité de streaming anormale.
En bref, les artistes indépendants doivent se méfier des services qui promettent une «augmentation garantie des streams».
Le problème des métadonnées et des éditeurs musicaux
L’édition représente les intérêts des auteurs et des compositeurs. Elle est liée à la collecte des royalties de reproduction, de performance, de synchro et autres, qui sont ensuite filtrées jusqu’à ce qu’elles aboutissent entre les mains des auteurs-compositeurs – sauf quand ce n’est pas le cas. L’édition représente environ 25 % de la rémunération annuelle de Spotify, ce qui n’est donc pas négligeable en termes de revenus.
Comme Spotify l’explique succinctement dans sa vidéo sur l’édition « how does the money flow » [7], la manière dont les revenus générés sur la plateforme sont distribués aux auteurs-compositeurs est compliquée. Si les revenus sont générés sur le même marché que l’auteur-compositeur, Spotify paiera le détenteur des droits selon le système de streamshare (qui inclut les paiements aux sociétés de gestion collective comme l’ASCAP). En principe, cette somme sera versée à l’auteur de la chanson conformément à l’accord conclu avec le détenteur des droits. Sur d’autres marchés, les recettes passent d’abord par une société de gestion collective « internationale », qui paie ensuite l’entité sous-internationale concernée (par exemple, une agglomération de sociétés de gestion collective aux États-Unis), qui paie elle-même la société de gestion collective concernée qui paie l’éditeur.
En d’autres termes, c’est un énorme gâchis. À chaque étape de cette chaîne complexe, il est possible que des métadonnées manquent entre les partenaires. Or, si aucune métadonnée n’indique l’implication d’un auteur-compositeur ou d’un interprète dans une composition, il ne sera pas rémunéré ! En fait, il s’agit là d’un problème majeur appelé « problème des métadonnées numériques » : de nombreux auteurs-compositeurs ne sont pas rémunérés équitablement parce que leur participation à un morceau de musique n’est tout simplement pas enregistrée, ou est mal enregistrée auprès d’une entité du réseau de celles que l’argent est censé traverser avant d’arriver dans les mains de l’auteur-compositeur. En fait, il s’agit de l’un des premiers sujets abordés par le gouvernement britannique dans le cadre de l’échéancier susmentionné[8].
Spotify s’est engagé dans sa vidéo de présentation « how the money flows » à collaborer avec ses partenaires pour améliorer la collecte des métadonnées. Spotify a également créé des fonctionnalités intégrées à l’application, telles que des playlists « écrites par », afin de mettre en valeur les auteurs-compositeurs et les interprètes, qui sont autrement cachés dans l’arrière-plan, par exemple dans les crédits de la chanson. Il s’agit certainement d’une mesure positive, mais un alignement général de l’industrie est nécessaire pour résoudre ce problème.
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La situation financière de Spotify
La stratégie de « blitzscaling » (= croissance éclair) de Spotify n’assure son succès que grâce à son ampleur, ce qui l’a obligé à s’associer très tôt avec des maisons de disques comme Sony Music dans le cadre d’accords cachés (y compris d’importantes avances en espèces se chiffrant en millions) pour héberger leur catalogue, ce qui a permis d’acquérir un grand nombre de nouveaux utilisateurs à la recherche de la musique la plus populaire au monde. Pour acquérir ces nouveaux utilisateurs, la tarification devait être attrayante. Leur objectif initial était d’être une solution à l’ère du piratage, mais pour ce faire, il était essentiel d’être pris sous l’aile de grands labels qui ont beaucoup à offrir au catalogue de Spotify.
Aujourd’hui, les marges de Spotify sont très faibles – ils reversent plus de 2/3 de leurs revenus aux détenteurs de droits. Leur marge est de 25 à 27 %, selon les années. Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour comprendre que, si l’on tient compte des autres frais généraux tels que la recherche et le développement, le marketing, etc, cela ne fait pas gros. En 18 ans d’activité, l’entreprise vient d’enregistrer son premier bénéfice au quatrième trimestre 2023 à la suite de licenciements et d’augmentations de prix. Malgré cela, la confiance des investisseurs a été ébranlée ces dernières années, ce qui a entraîné une perte de 70 % de la valeur de l’action depuis son plus haut niveau historique.
Qu’est-ce que cela signifie ? Il semble que même si l’objectif ultime de Spotify était de rémunérer le plus grand nombre d’artistes possible avec un salaire décent, son existence même rend cela extrêmement difficile. En effet, en raison de sa situation financière délicate et de sa dépendance à l’égard des grandes maisons de disques, Spotify est fortement contrainte par la pression des actionnaires de se comporter de manière à ne pas dévaloriser ses actions. À mesure que le «blitzscaling» touche à sa fin, ils doivent se concentrer de plus en plus sur la rentabilité.
Malheureusement pour les artistes, la plupart des mesures que Spotify pourrait prendre pour améliorer leur rémunération se heurtent à des difficultés importantes, car elles pourraient nuire aux finances de Spotify ou mécontenter les actionnaires :
- Augmenter les revenus semble irréalisable en raison des marges déjà minces de Spotify.
- Une rémunération basée sur les écoutes des utilisateurs réduirait les revenus des grandes maisons de disques, ce qui mettrait en péril les relations cruciales que Spotify entretient avec elles.
- Promouvoir une musique plus diversifiée et de niche sur les playlists populaires pourrait également contrarier les grandes maisons de disques. Entre 2018 et 2022, les majors ont représenté près de 70 % des titres ajoutés au « New Music Friday » : 30 % pour UMG et 19 % chacun pour Sony Music et WMG[13].
- L’augmentation du prix de l’abonnement est risquée car elle pourrait entraîner une baisse du nombre d’utilisateurs, ce qui est étroitement surveillé par les investisseurs soucieux de la santé financière de Spotify. Les augmentations de prix en 2023 ont été mises en œuvre avec prudence.
En fin de compte, l’existence de Spotify dépend de la satisfaction des grandes maisons de disques, de l’attractivité de ses prix pour les utilisateurs et de la poursuite de sa croissance massive pour surmonter ses marges étroites. Malheureusement, cette croissance ne s’est accompagnée que d’une réduction du revenu effectif par stream [11]. En d’autres termes, plus Spotify monte en puissance, plus les choses semblent empirer pour la plupart des artistes.
Conclusion
Comme Spotify le souligne, le principal problème réside dans les contrats que les détenteurs de droits ont conclus avec leurs artistes. Pour les grandes maisons de disques, ces contrats sont basés sur des taux de royalties qui n’ont pas changé depuis l’ère des supports physiques, et offrent généralement aux artistes une part mesurée des revenus. On parle généralement de 15 à 20 %. D’un côté, Spotify n’est pas directement responsable de l’épidémie de salaires dérisoires que connaissent actuellement les musiciens.
Cependant, l’impact de Spotify sur les revenus des artistes est indéniable. D’après leurs propres statistiques, seuls 25 % des artistes « émergents et professionnels » gagnent plus de 10 000 dollars par an, et encore moins gagnent un salaire décent. 10 % gagnent plus de 50 000 dollars. Il s’agit là de l’élite des artistes, et seuls 10 % d’entre eux peuvent mener une vie décente de classe moyenne grâce au streaming. L’auteur-compositeur-interprète britannique Shah a déclaré : « j’étais financièrement paralysée » [12] à la suite de l’effondrement du secteur de la musique live pendant le COVID, laissant l’artiste dépendre des revenus du streaming pour soutenir sa carrière. Comme nous l’avons vu précédemment, 92 % des musiciens interrogés ont déclaré à l’Union des musiciens qu’ils gagnaient moins de 5 % de leurs revenus grâce à Spotify. La transformation du secteur du streaming par Spotify en la plus grande source de revenus de l’industrie musicale ne laisse guère d’autre choix aux artistes que de recourir à leurs services, mais à leurs risques et périls, la croissance de Spotify ne s’accompagne que d’une baisse des revenus par stream.
Dans un climat économique difficile et avec l’obligation d’améliorer ses marges sur la voie d’une plus grande rentabilité, la capacité de Spotify à œuvrer pour une rémunération plus juste de tous les artistes, qui sont l’épine dorsale de son produit, semble limitée.
– Traduit par Ambre Tholance –
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